Raymond Cyr

Au-delà d’un simple projet de vie : aider les miens et moi-même.

HONORABLE

Les membres de la communauté autochtone métisse en Gaspésie se comptent en milliers et c’est parmi eux que j’ai grandi.

La communauté dénombre officiellement six mil membres. Ce nombre est constamment en croissance dû au fait que le Gouvernement ne veut reconnaître que ceux qui sont inscrits à une « communauté incorporée ». Comme cette règle d’inscription n’est pas dans la tradition autochtone, l’on s’y inscrit, petit à petit.

J’ai une formation de niveau doctoral en administration. Je suis très souvent intervenu pour aider les miens à se structurer afin de recevoir la reconnaissance légale demandée. Pendant des années, j’ai ainsi œuvré en donnant de ma personne, temps et argent.

La communauté se reconnaît deux membres honorables : Nérée Cormier (avocat) et Raymond Cyr.

Je fais aussi partie des Aînés Sages. Être aîné et plus encore, sage, est plus qu’un simple fait d’âge. Il débute quand l’un peut voir en chacun/e de sa communauté son propre enfant. C’est peu dire.

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LA GUÉRISON PAR SOI-MÊME

Je suis un Autochtone handicapé physique depuis l’enfance, dû à la maltraitance sévère subie. Cette maltraitance est en lien direct avec l’éducation reçue par ma mère. Toute jeune, elle fut placée dans un pensionnat pour Autochtones (vocational school) en Saskatchewan.

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La vie de ma mère en fut très marquée. Ce qui fut a pu être fait en mesures réparatrices pour elle, mais le fut trop tard pour s’en remettre.

Je vous invite à lire au sujet de la résolution des pensionnats indiens, notamment Commission de vérité et de réconciliation à http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1314831168708/1314831372522.

 

Une psychiatre m’a dit que les traitements dont j’ai souffert des années durant – vue la période de l’âge tendre au cours de laquelle je les subissais – sont psychologiquement à l’égal de ce qu’ont subi les prisonniers (adultes) des camps de concentrations des Nazis. Et les psychiatres se demandent toujours comment certains d’entre eux, le petit nombre, en sont sortis équilibrés. Bref, je suis heureux de n’être qu’handicapé physique.

 

Chez les Autochtones, Les approches traditionnelles à la guérison sont holistiques et tiennent compte des aspects physique, mental et spirituel de la personne. La médecine se distingue de la guérison, qui ne se limite pas au simple traitement de la maladie. Comme le souligne Donald Warne, il est plutôt ironique que les médecins modernes prétendent fournir des soins de santé quand en réalité ils traitent les maladies (Warne, D. « Traditional perspectives on child and family health », Paediatr Child Health, 10:542, 2005).

Je vous invite à découvrir la médecine autochtone et les pratiques de guérison autochtones à la suite de cet extrait de http://www.med.uottawa.ca/sim/data/Aboriginal_Medicine_f.htm.

 

Beaucoup et toujours trop pour être compris pourra encore être dit au sujet de mes handicaps. Qu’il suffise donc de rappeler cette image qui hanta ma mémoire si longtemps : pendant que mes amis gambadaient, jouaient et s’éloignaient involontairement de moi, je faisais des efforts inouïs pour les rejoindre, mes jambes ne répondant pas à la commande autant qu’il aurait été souhaitable. Et j’espérais donc que quelque chose d’intéressant les arrête un moment; que je puisse les rattraper. Mais plus souvent qu’autrement, ils poursuivaient leur route, rien d’intéressant ne les retenant en place. Et moi, j’étais de plus en plus loin derrière. Alors, le joyeux groupe déléguait invariablement quelqu’un, chacun à tour de rôle, pour venir botter le fessier du « traînard »… pour le stimuler à aller plus vite. Oui, les enfants savent être cruels.

Dans les bois où j’ai grandi, aucun service de physiothérapie ou autres n’existait. Le terme même de services spécialisés était inconnu. Il y avait bien un dispensaire et une infirmière, sans support clinique. C’est dans ce contexte, qu’avec courage et détermination, s’élançant seul du faîte d’une colline pentue, tombant, roulant, recommençant en reprise sur reprises, tant de fois… que j’ai atteint le dépassement… et appris à marcher plus ou moins correctement et même à courir sur de courtes distances. D’innombrables fois, je répétais des mots sans relâche, des phrases entières, afin d’articuler correctement… ne plus « mâchouiller » mes mots tel quelqu’un qui marmonnerait… et que l’on ne comprenait pas … dont l’on riait avec amusement. J’ai appris à parler correctement. Seul et tard. Et des années d’efforts m’ont permit finalement d’activer simultanément pensées et paroles et de tenir une discussion.

Un jour, il y a quelques années, des Métis de l’Ouest m’ont demandé de témoigner en français sous caméras et micros de ce qu’ont souffert les familles à la suite du passage de leurs parents dans les écoles pour autochtones, pour laisser un document audiovisuel en français aux jeunes élèves. Peu de francophones de l’Ouest ont souffert des conséquences des pensionnats pour Autochtones. Alors, devant l’équipe d’enregistrement dont un seul parlait français, mais qui était un bon catholique fervent, j’ai attendu que l’entrevue soit commencée pour dire ceci, en clair latin, langue des missionnaires et religieuses qui ont travaillé si fort avec les méthodes que nous connaissons (qui leur mériteraient la prison aujourd’hui) pour éradiquer d’en eux la culture autochtone : « Confiteor Deo omnipotenti, beatæ Mariæ semper Virgini, beato Michæli Archangelo, beato Ioanni Baptistæ, sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus Sanctis, et tibi, pater… » et de suite. « Mais quelle langue parle-il donc? », demandèrent les autres membres de l’équipe. Évitant de dire que je faisais référence au clergé catholique d’époque en parlant latin et ne voulant pas révéler l’astuce qui le confrontait à sa confession religieuse, il répondit : « Ah, il parle le vieil italien. »

J’ai travaillé toute ma vie pour les miens et encore aujourd’hui, pour les Autochtones et les personnes handicapées.

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MÉDAILLÉ MILITAIRE AUTOCHTONE

En 2010, j’ai reçu une médaille à l’égal des autres Métis et membres des Premières Nations de Batoche. C’est là, en Saskatchewan, que ceux-ci ont commémoré leur dernière bataille, où elle eut lieu.

Le Gouvernement du Canada était-il en position de remettre une médaille militaire à titre posthume en 2010 aux familles de ceux qui ont combattu l’armée de la Couronne britannique en 1885? Je ne crois pas que l’on puisse remettre une médaille militaire à ceux que l’on a combattus. Et ceux qui se sont fait imposer des règles iniques (lois) par la force des armes étaient des Canadiens légitimés de combattre l’iniquité. Ils l’ont fait jusqu’au prix de leurs vies. L’Histoire et le Gouvernement, bien entendu, ont reconnu bien tardivement ce fait. Ce dernier a fait frapper des médailles sur lesquelles les belligérants sont personnifiés.

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La médaille que vous voyez ici m’a donc été remise comme cadeau du Gouvernement qui désire maintenant faire la paix (réconciliation) avec nous, Autochtones. Vous y voyez un Indien, un Métis et un soldat de la Couronne (GRC), ensemble.

Sur le terrain, à Batoche, on m’a demandé, sous les caméras, ce que je pensais de ce geste. J’ai répondu que Nous n’avions pas le droit de refuser un présent lorsque quelqu’un s’avançait vers nous pour discuter. Toutefois, je me suis fait un devoir de dire que je ne comprenais pas. Lorsque je parle du passé, je dis, Nous y étions, mais lorsque vous parlez, vous dites, ce n’est pas moi, c’est mon arrière-grand-père. Alors, comment pouvez-vous demander la réconciliation pour des gestes pour lesquels vous ne vous reconnaissez aucune responsabilité? Alors, je me questionne. Je me questionnerai une génération. Je me questionnerai deux générations. (…), (…), (…), (…). Je me questionnerai sept générations.

Il y avait dix mil (10 000) Autochtones rassemblés à Batoche. Comme représentant Métis de l’Est du Canada, j’étais un moment seul sur scène avec l’honorable Chuck Strahl, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Après m’être adressé en quelques langues aux miens, l’Hymne métis que vous pouvez entendre sur http://www.youtube.com/watch?v=MUebuT9j7U4 joua dans les hauts parleurs, partout sur le site. Ce fut un grand moment.

Ensuite, on m’a demandé de témoigner pour ma mère – dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation / Truth and Reconciliation Commission – placée dans un pensionnat qui avait pour mission d’acculturer les jeunes Autochtones. Le mot « Reconciliation » est sur la médaille reçue.

Ki Twock Raymond Cyr
Li Esprit, not criâteure, li courage mi yi nawn, paray chee i tayh ta maw.
Esprit, notre créateur, donne-nous le courage d’être une seule pensée.
 

CHASSE À L’ORIGNAL

Ici, je suis en compagnie d’un compagnon de route des Affaires autochtones, M. Benoît Lavoie, président (chef) de la Communauté métisse de la Gaspésie après une chasse rapide et fructueuse à l’orignal dans les monts Chic-Chocs. Benoît avait déjà eu son orignal, à l’arc. Il m’accompagnait, cette fois-ci. De la viande pour l’hiver!

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COLLETAGE

II avait bien neigé. Il neige encore. Les collets à lièvres sont sous la neige. Je les dégage, jugeant qu’il est inutile de les ajuster à la hauteur de la neige… qui continuera de monter quelque peu.

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Je préfère creuser un petit chemin qui intéressera Monsieur Le Lièvre pour entrer ou sortir de son abri sous l’épinette. Le sentier lui paraîtra tout naturel avec un peu de neige ajoutée que la nature se chargera bien de déposer.

 

PIÉGEAGE

 

Les municipalités et les propriétaires terriens subissent assez souvent la déprédation des castors. Ils bouchent les ponceaux et noient des terrains forestiers. Comme je piège depuis l’enfance (avec mon père, d’abord) et me nourris entre autres de la chair du castor et fais de l’artisanat avec la fourrure – mais, je ne la vends pas – et les os de cet animal, je suis venu mettre mon expérience à contribution, pour les aider gratuitement.

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Je reviens du bois avec un castor pris dans son barrage par l’un des pièges qui y étaient installés. J’ai le visage et les mains rougis par le froid vif d’un automne très avancé, portant fièrement la casquette qu’un membre des Premières Nations m’avait offerte comme leader Métis lors de l’Assemblée des communautés métisses historiques de 2009, organisée à l’Université de Sherbrooke. À mon cou, une griffe de l’ours que je me suis fait offrir par un ami de la communauté des Magwas (signifiant « ours noir »), lors d’un souper chez lui à la viande d’ours.