La pauvreté des personnes handicapées

Mémoire sur la pauvreté et l’exclusion sociale

7 décembre 2009 – Maurice Richard a participé au Rendez-vous de la solidarité, une rencontre de consultation organisée dans le cadre du Programme de lutte à la pauvreté du gouvernement du Québec. Voici le mémoire qu’il a présenté au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, monsieur Sam Hamad.

Mémoire

LA PAUVRETÉ CHEZ LES PERSONNES HANDICAPÉES

Présenté par :
Maurice Richard dans le cadre de la consultation sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale
Sherbrooke
7 décembre 2009

INTRODUCTION

En 1969, le gouvernement fédéral transfère au gouvernement du Québec, les sommes allouées aux pensions des invalides. Il y a donc 40 ans cette année que cet argent se retrouve investi dans la Sécurité du revenu. Selon le mémoire de l’Office des personnes handicapées du Québec (19 septembre 2002), nombre de personnes handicapées se retrouvent à la Sécurité du revenu. Elles y sont pour des périodes dépassant les 16 ans. Elles sont dans la catégorie des citoyens les plus pauvres du Québec.

Il faut se rappeler que la Sécurité du revenu est conçue pour supporter les personnes en transition vers un emploi. La Sécurité du revenu est aussi une aide de dernier recours.

Ces deux principes affectent particulièrement les personnes handicapées inaptes à l’emploi.

Les personnes handicapées sont 2 fois plus en chômage, 2 fois plus à la sécurité du revenu et 2 fois plus pauvres que les personnes sans contrainte. (Diagnostic de l’économie et de l’emploi relatif à la situation des personnes handicapées de la région de l’Estrie, Marc Tardif PHD, Université de Sherbrooke).

Plusieurs facettes de leur vie sont affectées par la pauvreté chronique : l’emploi, le revenu, le transport, le logement, le maintien à domicile, la nourriture et l’habillement.

L’EMPLOI

Nous devons féliciter le gouvernement du Québec d’avoir mis une emphase particulière sur l’emploi.

Recommandation :

Nous souhaitons que le plan stratégique pour l’emploi soit maintenu au-delà de la crise économique.

LE REVENU DE SUBSISTANCE

Élimination du revenu familial comme base de calcul d’admissibilité

Dans le mémoire de l’OPHQ de 2002, il y était recommandé que dans le cas d’une personne reconnue avec « contraintes sévères à l’emploi », ne soit plus considéré le revenu familial dans l’évaluation de son admissibilité à la Sécurité du revenu. Le même mémoire constate un appauvrissement de la famille qui compte dans son sein une personne handicapée. En utilisant le revenu familial pour établir l’admissibilité à la Sécurité du revenu, les personnes lourdement handicapées sont condamnées à vivre seules. En se mariant, elles perdent leur revenu et les aides qui accompagnent le revenu de subsistance. Nous parlons, entre autres, des médicaments. Les deux conjoints s’en retrouvent appauvris. Cette situation va à l’encontre d’une des valeurs les plus importantes de notre société : la famille.

Recommandation :

Que le revenu familial ne soit plus considéré pour établir l’admissibilité à la sécurité du revenu d’une personne ayant des contraintes sévères à l’emploi.

Compensation équitable de la déficience

En 1988, le Conseil des ministres reconnaît que les personnes handicapées ne doivent plus défrayer les coûts reliés à leur handicap. Une étude commandée par l’OPHQ sur la compensation des coûts du handicap, évaluait à 250 $ mensuellement en moyenne les sommes supportées par une personne handicapée directement reliées à son handicap (2004, rapport des chercheurs de l’Université Laval « Une compensation plus équitable des déficiences »).

Recommandation :

Que le gouvernement du Québec établisse le plus tôt possible un régime supportant tous les coûts reliés au handicap, afin que tout citoyen parte sur les mêmes bases dans la vie.

Sortir les personnes handicapées ayant des contraintes sévères de la Sécurité du revenu

Les personnes handicapées ayant des contraintes sévères à l’emploi sont à la Sécurité du revenu pour plus de 16 ans, selon le mémoire de l’OPHQ de 2002. Que font ces personnes inaptes à l’emploi dans un régime de transition en emploi? De plus, ce régime étant un aide de dernier recours, ces personnes inaptes à l’emploi subissent des contraintes toute leur vie durant, les installant dans une situation de pauvreté chronique.

Recommandation :

Que le gouvernement du Québec crée un régime indépendant de la Sécurité du revenu pour les personnes inaptes à l’emploi, mieux adapté aux limites et contraintes physiques, mentales et financières. Un régime qui tient compte de la situation permanente de dépendance à l’aide de l’État pour ces personnes.

LOGEMENT

Logement plus accessible et plus de HLM

Avec le retrait du gouvernement fédéral du financement du logement social en 1994, la pénurie de logements à coût abordable s’est accentuée. Les personnes handicapées ont subi en double ce manque de logements. Leur pauvreté chronique et le besoin d’accessibilité s’ajoutent aux difficultés de trouver un appartement qui leur convient.

Recommandations :

Favoriser la construction de plus de logements à loyer modique. Y prévoir plus de logements accessibles aux personnes handicapées. Favoriser la construction de ces logements à prix modique partout au Québec, y compris dans les petites villes.

Favoriser la construction d’îlots résidentiels pour les personnes lourdement handicapées.

Supplément au loyer

Le Programme de supplément au loyer pour personnes handicapées permet, par une subvention, au locataire handicapé de se loger dans un logement du marché privé. La subvention couvre la différence entre la capacité de payer du locataire handicapé et le coût réel du loyer.

Deux difficultés accompagnent ce programme :

  1. Le programme ne répond pas à la demande, bien qu’il soit apprécié dans le marché privé du logement.
  2. Le nombre des subventions est donné à une région. Les personnes handicapées sont limitées dans leur déménagement d’une région à l’autre. Elles doivent refaire une autre demande, une fois installées dans une nouvelle région. Il leur est impossible de savoir si elles peuvent avoir une subvention au logement dans cette nouvelle région d’adoption. Sachant qu’elle n’avait pas les moyens de supporter le coût réel du logement, elle n’est pas capable de payer le plein coût du nouveau logement, en attendant qu’une subvention se libère. Cela peut durer des années. Une personne lourdement handicapée se retrouve donc dans une situation de refuser un emploi, ne pouvant déménager. Certains acceptent même de vivre dans des taudis non accessibles pour pouvoir survivre en attendant le supplément, parce qu’ils n’ont pas les argents suffisants.

Recommandations :

Augmenter de façon substantielle le nombre de Supplément au loyer pour les personnes handicapées.

Modifier la méthode d’attribution, pour que le supplément soit relié à la personne et non à la région.

Adaptation de domicile

L’adaptation de domicile a permis à plusieurs personnes d’intégrer un logement tout en leur permettant d’obtenir les équipements qui compensent leurs limitations. Afin de créer une banque de logements accessibles, les équipements sont subventionnés pour un logement donné. Lorsque la personne handicapée déménage, elle doit refaire une autre demande d’adaptation. La nouvelle subvention peut prendre de 3 ans jusqu’à 7 ans avant d’être acceptée. Cela dépend de la disponibilité des fonds. D’un autre côté, l’ancien propriétaire enlève ces équipements, pour pouvoir louer son logement à n’importe qui. Ces équipements sont souvent détruits ou remisés pour ne plus servir. Au moment du déménagement, les équipements étaient en état de marche et répondaient au besoin de la personne handicapée, puisqu’ils sont prescrits par un ergothérapeute et entretenus par la SHQ.

Recommandations :

Que les adaptations de domicile soient attribuées à la personne et non au logement.

Que tout ce qui est démontable puisse suivre la personne dans son déménagement.

Que la Société d’habitation du Québec supporte les coûts d’enlèvement et de réinstallation des équipements adaptés déjà prescrits et subventionnés.

AIDANTS NATURELS

Autant au fédéral qu’au provincial, la conjointe ou le conjoint ne font pas partie de la définition d’aidants naturels. Par contre, ils sont les premiers sollicités afin de venir en aide au conjoint malade ou handicapé. Ce sont souvent les plus épuisés. Ce sont, la plupart du temps, ceux qui doivent abandonner leur emploi les premiers pour porter assistance à l’autre conjoint. Ceci a aussi comme effet l’appauvrissement du couple. Parce que n’étant pas reconnus aidants naturels, ils ne sont pas admissibles aux aides financières données aux aidants naturels.

Recommandations :

Que la définition d’aidants naturels inclue les conjoints.

Qu’ils aient accès à des aides psychologiques et soins physiques non assumés par le réseau de la santé. (Psychologue, chiropraticien et ostéopathe.)

TRANSPORT ADAPTÉ

Le transport adapté en milieu rural, une responsabilité de MRC

La Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en matière d’intégration professionnelle et sociale oblige toutes les municipalités du Québec à offrir un transport adapté sur leur territoire. En milieu rural, les services sont souvent regroupés dans une ville centre. Cela oblige les personnes handicapées à sortir de leur municipalité pour recevoir une gamme de services.

Lors de l’étude du projet de loi, toutes les municipalités n’offraient pas le transport adapté. Ce fut la raison pour laquelle la Loi visait le développement du transport au niveau municipal. Cinq ans plus tard, alors que toutes les municipalités offrent le transport adapté, il devient important de revoir l’obligation municipale et celle des MRC. (Journal des débats, Commission des affaires sociales, le jeudi 2 décembre 2004.)

Depuis, les municipalités régionales de comté (MRC) ont eu le mandat de mettre en place un transport collectif. La MRC possédant son propre pouvoir de financement, elle met en difficulté le développement d’une réponse aux besoins réels des personnes handicapées. Si on s’en réfère à la MRC du Haut‑St‑François en Estrie, les deux transports se font concurrence. Nous sommes en train d’assister à une diminution de service au transport adapté au détriment du transport collectif. Les deux transports sont subventionnés par le même contribuable, mais les pouvoirs mis en jeux sont de forces inégales.

Recommandation :

Que le financement et l’organisation du transport adapté soit sous la responsabilité des MRC.

Transport adapté mieux financé

En général, le transport adapté n’arrive pas à répondre à la demande. Cela se voit plus particulièrement en milieu rural. Certaines municipalités sont desservies à des heures ne respectant pas le marché du travail. D’autres n’ont droit au transport adapté qu’une journée dans la semaine. Le transport adapté tire son financement des municipalités et du ministère des Transports du Québec. Le financement est subordonné à la participation financière de la municipalité.

Selon la richesse de ces municipalités, les personnes handicapées se retrouvent plus ou moins bien desservies. Ce sous-financement met en danger l’objectif même de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en matière d’intégration professionnelle et sociale. Elles n’ont pas vraiment accès à une intégration sociale, professionnelle, ni même à une réadaptation à laquelle elles devraient s’attendre, ne pouvant s’y rendre.

Recommandation :

Qu’il soit établi un nouveau mode de financement du transport adapté, afin qu’il puisse réellement jouer son rôle d’agent d’intégration partout au Québec.

Éliminer l’ambiguïté du financement au transport adapté

La Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en matière d’intégration professionnelle et sociale oblige les municipalités à offrir le transport 5 jours par semaine. En milieu rural, une interprétation fausse l’offre de service. Lorsqu’une municipalité offre seule le transport adapté, elle est tenue aux 5 jours par semaine.

Dans le cas où une MRC prend en main le transport adapté, certains interprètent la loi comme suit : si l’une des municipalités offre le transport 5 jours par semaine, cela dispense les autres municipalités d’offrir le transport adapté 5 jours par semaine. Cela a pour résultat que l’intégration professionnelle et sociale est compromise. D’un autre côté, les municipalités voient là une occasion de réduire leurs coûts.

Recommandation :

Que toutes les municipalités soient tenues de financer le transport adapté sur une base minimale de 5 jours par semaine.

CONCLUSION

Un ensemble de facteurs maintient les personnes handicapées dans une situation de pauvreté. Depuis trois décennies, l’État québécois met en place des mesures afin d’améliorer la situation des personnes handicapées. À l’analyse de l’ensemble des difficultés vécues par les personnes handicapées et des efforts pour améliorer la situation, un constat s’impose. Tout converge vers la pauvreté de la majorité des personnes handicapées. Pauvreté en termes de revenu de subsistance, mais aussi pauvreté en termes de services. L’amélioration des interventions de l’État en matière d’éducation et d’emploi est sans contredit une étape importante pour réduire la pauvreté. Cependant, il demeurera un fait : des dizaines de milliers de personnes lourdement handicapées n’auront jamais accès à ces mesures d’emplois. Indépendant de leur volonté, la lourdeur de leur handicap restera un obstacle infranchissable à leur intégration professionnelle. Ce mémoire veut être le porte-parole de ces personnes inaptes à l’emploi. Il est un énoncé de recommandations dans le but d’améliorer les conditions de vie de ce groupe de personnes atteint de handicap lourd.

Chronologie

1969
Le gouvernement du Canada transfère les pensions d’invalide au gouvernement du Québec. Le gouvernement du Québec envoie ces argents au Bien-être social. L’Aide sociale est un régime de dernier recours et de transition en emploi. 28 000 personnes lourdement handicapées au Québec, près du million dans tout le Canada, vivent dans un régime jamais conçu pour elles. Ce régime ne se préoccupe pas de développer des mesures spécifiques à leurs conditions de dépendance.

1981
Année internationale des personnes handicapées. Le gouvernement fédéral rejette l’étude d’un projet d’assurance handicap pour tous les Canadiens. Le gouvernement provincial fait de même deux ans plus tard. Le rejet de l’assurance handicap crée une discrimination entre les assurés de régimes d’assurance publique et les autres. Les personnes lourdement handicapées sont aujourd’hui les Canadiens les plus pauvres. Leurs services sont, dans l’ensemble, sous-financés.

1988
Le Conseil des ministres du Québec vote, à l’unanimité, que les personnes handicapées n’ont pas à payer de leur poche pour leur handicap.

2000
Une étude, commandée par l’Office des personnes handicapées du Québec, estime que chaque personne handicapée consacre une somme de 250 $ par mois pour des biens et des services directement reliés à son handicap.

2007
Une recherche estime à 28 000 personnes le nombre de personnes handicapées au Québec dont la lourdeur du handicap empêche tout retour sur le marché du travail.

2009
Le revenu de subsistance pour les personnes lourdement handicapées, à la Sécurité du revenu, avoisine les 62 % du salaire minimum. Elles manquent de transport adapté, de logements adaptés, d’argent pour se loger, se vêtir et se nourrir. Elles comptent sur la générosité des parents et amis pour se meubler et pour leurs loisirs. Elles vivent dans un état de pauvreté qui les affecte à vie. Elles appauvrissent leurs parents. Les conjoints n’étant pas considérés « aidants naturels », ils n’ont droit à aucun crédit d’impôt ou aide financière.

Maurice Richard
207, rue St-Ambroise
Milan (Québec) G0Y 1E0
819 657-4685